Source: LE FIGARO
Par Nicolas Mondon, Marie Coussin et FIG Data
Publié le 19/12/2020
En immobilier, à chacun son quartier. Familles, cadres ou retraités, les mêmes profils se concentrent très souvent sur des quartiers en particulier. Fig Data
En matière d’immobilier, la recherche d’un quartier avec une certaine homogénéité de profils socio-économiques reste une préoccupation majeure pour les acheteurs. Le prix du foncier est un des principaux critères, notamment pour les ménages à faibles revenus, mais il n’est pas le seul. « Ce phénomène d’agrégation est une démarche assez «naturelle» » explique Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée d’Espacité, cabinet spécialisé dans le champ de l’habitat et du renouvellement urbain. « Les travaux de Pierre Bourdieu l’ont bien montré : le positionnement social définit les goûts, valeurs, intérêts des individus et la question résidentielle n’y échappe pas. »
Cette tendance sera d’autant plus marquée chez les catégories socioprofessionnelles plus favorisées. « Leur aptitude à exprimer un choix résidentiel est plus importante, à la fois car leurs aspirations sont plus marquées et parce qu’elles ont une capacité économique à la transcrire dans les faits plus forte » poursuit Anne-Katrin Le Doeuff. Dans Les Beaux quartiers paru en 2007, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon l’avaient décrit pour la grande bourgeoisie parisienne : « Ces familles sont les clientes de la tranche la plus chère du marché. Elles pourraient, si le seul facteur déterminant était le prix, résider n’importe où dans l’agglomération parisienne. Or leur espace résidentiel utile, celui où elles ont statistiquement une chance de se trouver, est extraordinairement étroit. (…) Leurs « carrières résidentielles » (…) sont ridiculement limitées : on naît dans le 16e arrondissement, on a sa garçonnière dans le 15e, on installe le jeune ménage à Neuilly et la famille grandira dans le 8e. Sauf en raison des études ou de la carrière, on ne s’éloigne jamais du périmètre étroit des beaux quartiers de l’Ouest. »
À chacun son quartier
Cette démarche irrigue également les autres couches de la société. Les données de l’Insee que nous présentons dans le moteur de recherche ci-dessous sont révélatrices : les mêmes profils se concentrent sur des quartiers en particulier, et à chaque profil correspond un quartier spécifique. L’exemple de Paris est ainsi édifiant.
Dans le quartier des Épinettes (17e arrondissement), un tiers des nouveaux propriétaires (depuis 2012) avaient exactement le même profil : des ménages de 25 à 39 ans, sans enfant, titulaires d’un bac+5, actifs. Une proportion similaire d’acheteurs se retrouve à Bonne Nouvelle (2e) et la Folie Méricourt (11e).
Les ménages du même âge et même niveau de diplôme mais avec enfants s’orientent vers les Batignolles (17e) ou vers des quartiers dont le prix au m2 moins élevé permet d’obtenir des surfaces plus grandes : Saint-Vincent-de-Paul (10e), bassin de la Villette (19e), canal Saint-Denis (19e), Petit Montrouge (14e)…
En progressant en âge, le niveau de revenus évolue lui aussi et permet aux familles dont les parents ont entre 40 et 55 ans de miser sur le 8e (Europe, Faubourg du Roule), le sud du 17e (Plaine Monceau), le 16e (Bois de Boulogne, Auteuil, Porte Dauphine…)
Ces parcours résidentiels sont particulièrement marqués dans les départements franciliens et ceux composés d’une grande métropole (Loire-Atlantique, Nord, Ille-et-Vilaine, Haute-Garonne…). Ainsi dans le Val-de-Marne, les ménages jeunes, sans enfant et très diplômés vont s’orienter vers Alfortville, Ivry-sur-Seine, Gentilly, le Kremlin-Bicêtre pour ce que l’on peut supposer être un premier achat. Les mêmes couples avec enfant (qui achètent plus souvent à deux et disposent ainsi de moyens plus importants) préféreront les villes plus familiales de Saint-Maur-des-Fossés, Vincennes, Maisons-Alfort, Nogent-sur-Marne. Les familles plus âgées se dirigeront vers Arcueil, Cachan, Fontenay-sous-Bois et Saint-Mandé, à la recherche de davantage d’espaces voire d’une maison.
À niveau de diplôme inférieur (bac+2 et bac+4), les jeunes ménages sans enfant s’éloignent davantage de la périphérie parisienne. Ils achètent à Champigny-sur-Marne ou encore Choisy-le-Roi. Les communes de Mandres-les-Roses, Boissy-Saint-Léger ou Marolles-en-Brie accueilleront les jeunes familles, celles de Rungis, Périgny, Bry-sur-Marne les plus âgées.
La gentrification en marche
Les quartiers qui concentrent les plus forts taux de profils similaires sont souvent ceux identifiés comme en prise avec une forte gentrification, c’est-à-dire d’anciens quartiers populaires pris d’assaut par des populations plus aisées et diplômées. Ainsi à Saint-Denis (quartiers Pleyel, Péri-Langevin), Montreuil (Bas Montreuil, Solidarité-Carnot), Pantin (Charles-Auray, Petit Pantin) ou encore Clichy (Gambetta) et Nanterre, la part des 25-39 ans très diplômés et sans enfant représentent plus d’un cinquième des nouveaux propriétaires.
« Ce phénomène de gentrification résidentielle ne concerne généralement que certains quartiers et non toute la ville » explique Anne-Katrin Le Doeuff. « Il s’accompagne généralement d’une gentrification commerciale, avec l’installation de commerces de bouche très prisés des ménages favorisés et d’une gentrification économique avec l’implantation d’une activité tertiaire importante. L’ensemble de ces phénomènes conduit à un report des ménages moins favorisés vers la périphérie de ces villes. »
Prédominance des actifs
Ces données révèlent aussi en creux la prédominance des actifs et des diplômés dans les actes d’achat, notamment en région parisienne. Les retraités ou ménages sans activité professionnelle sont très minoritaires dans les profils d’acheteurs. À quelques exceptions régionales près : dans le Calvados par exemple, près d’un tiers des nouveaux acheteurs à Houlgate, Cabourg, Villers-sur-Mer ou Honfleur ont plus de 65 ans, sont à la retraite et un niveau d’études équivalent au baccalauréat.
Cette concentration de la capacité d’achat est poussée à son paroxysme dans la capitale, sous l’effet de l’envol des prix : pour des jeunes profils (moins de 25 ans) et ou avec un niveau d’études inférieur ou égal au bac, la proportion d’acheteurs tombe rapidement sous la barre des 5%.
« Le rapport à la propriété est devenu un marqueur très fort des inégalités » confirme Anne-Katrin Le Doeuff. « Dans les années 1970, les ménages qui le souhaitaient arrivaient quasiment tous à accéder à la propriété, quelque que soit leur classe de revenus. Aujourd’hui, et depuis le début des années 2010, le quart des ménages les plus riches est propriétaire à plus de 70% quand le quart le plus pauvre ne l’est qu’à 17%. »
Méthodologie
Le découpage géographique correspond aux grands quartiers (obtenus à partir du découpage IRIS de l’Insee). Les données portent sur les propriétaires arrivés entre 2012 et 2019 (données partielles pour 2018 et 2019). Seuls les grands quartiers comptant au moins 10 nouveaux propriétaires sur la période étudiée sont affichés dans la liste des résultats.
Source : Insee.