Immobilier : bâtir plus écologique, le nouveau défi

Lutter contre le réchauffement climatique constitue désormais le grand virage qu’aborde le secteur immobilier. Pierre de taille, bois, béton bas carbone… La révolution est en marche.
Par Léa Desmet
Publié le 22/10/2023 à 09h00

 

L’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique s’étend désormais au secteur de l’immobilier, réputé polluant. Son nouveau leitmotiv ? Réduire l’empreinte carbone des opérations. « Même en cette période de crise du secteur, qui connaît des équations financières ardues, les initiatives se multiplient », indique Stanislas Pottier, président de l’Association pour le développement du bâtiment bas carbone (BBCA), à l’origine du premier label de calcul de l’empreinte carbone de bâtiments. Fin septembre, à Paris, il y avait foule au deuxième Salon de l’immobilier bas carbone (Sibca). « Après les premiers tâtonnements, la profession surfe sur ses expérimentations pour démarrer une phase opérationnelle visant à changer d’échelle », commente Férielle Deriche, directrice du Sibca.

Finie la recette du tout-béton. Au rythme des innovations technologiques, des procédés alternatifs fleurissent et font avancer sur le sujet. « Aujourd’hui, tout est remis à plat dans le processus constructif : privilégier des matériaux vertueux, faire preuve de bon sens, d’imagination et d’économie », affirme Guillaume Carlier, directeur de la stratégie climat et ressources de Bouygues Immobilier. En matière de gros œuvre, le bois apporte sa pierre à l’édifice. « Un mètre cube de bois utilisé évite une tonne de CO2 », rappelle Julien Pemezec, DG de Woodeum. Entré dans le giron d’Altarea, ce spécialiste de la construction en bois massif va fusionner avec Pitch pour « boiser » les logements dans toute la France. Même approche chez Icade, qui a signé à Toulouse le programme immobilier « Wood’Art-La canopée » : un ensemble résidentiel composé de 76 % d’éléments en bois, dont une tour de dix étages. Et qui procède de la même manière pour le futur village des athlètes des JO à Saint-Denis.

Engagement. Le projet de réhabilitation en bois recyclé de l’ancienne patinoire de Cergy-Pontoise (95).

Construction hors site. Reste que cette matière première géosourcée n’est pas l’unique solution. « Encore coûteux, dans une filière française qui peine à en fournir, le bois ne peut pas tout. C’est même l’arbre qui cache la forêt », lance un expert. De son côté, le béton tant décrié fait sa mue et se décline en version bas carbone. On trouve désormais ce matériau fabriqué à partir d’argile, de chanvre et de bois. « Après quinze ans de recherche et de développement, nous avons mis au point cette nouvelle matière qui contient 80 % de granulats de bois issus d’arbres non utilisés – tordus ou avec des nœuds. Avec notre méthode, des industriels fabriquent en usine des panneaux de bois-béton, qui sont ensuite transportés sur le chantier et assemblés. En plus d’être peu polluante, cette matière est plus légère qu’un béton classique. Utile pour réaliser des surélévations », explique Caroline Gérard, directrice marketing de CCB Greentech. À la clé, une réduction considérable des émissions de GES, et des économies d’échelle, d’eau et de déchets.

Dans cet esprit, Nexity industrialise la conception de logements « hors site ». « Nous allons construire en usine des modules tout équipés : un pour un logement étudiant, deux ou trois pour un appartement standard, indique Benoît Mainguy, directeur de la construction chez Nexity. Les premières livraisons sont annoncées pour 2025. Ce sera moins polluant et le chantier sera plus rapide. » Alors que les constructeurs redécouvrent les vertus de la pierre de taille (lire page suivante), la terre crue n’est pas en reste. Bouygues Immobilier s’est servi de ce matériau ancestral à forte inertie thermique pour réaliser des locaux à vélos à Angers.

Caroline Sainderichin DG déléguée de BNP Paribas Immobilier Promotion :« Il convient de mettre le matériau adapté au bon endroit. »

Déchets et recyclage. Ne contribuant qu’à 1 % du renouvellement du parc immobilier par an, la construction neuve n’est toutefois pas le nœud du problème. « C’est même un sujet microscopique. Le gisement sur lequel il faut agir aujourd’hui, c’est le bâti existant. Près de 80 % des immeubles de 2050 sont déjà là. Il va falloir les transformer », rappelle Franck Boutté, fondateur et président de l’atelier d’ingénierie de la ville durable Franck Boutté Consultants. Désormais, les promoteurs sont priés de ne plus tout démolir. Ils procèdent à des déconstructions minutieuses pour, quand c’est possible, conserver des pièces ou des pans de l’ancien bâti. Les autres éléments non utilisés seront aussi récupérés afin d’être recyclés et réemployés sur un autre chantier.

Ainsi, on concasse le béton issu d’une démolition pour en faire des revêtements de sols et de murs. Idem pour les vieilles briques. On réutilise les terres excavées des chantiers pour végétaliser les espaces extérieurs du nouveau projet. On récupère aussi davantage d’équipements intérieurs usagés. « Utiliser ce qui existe évite la fabrication et réduit de fait la consommation d’énergie. C’est déjà une économie importante », souligne Bertrand Eyraud, directeur RSE et innovation chez Kaufman & Broad. Dans la sphère immobilière, l’économie du recyclage est en plein boom. « Nous donnons une seconde vie à des matériaux usagés prêts à partir à la benne. Après collecte, traitement et stockage, nous les revendons. Cela va des lames de parquet aux poignées de porte en passant par des cloisons. Notre best-seller du moment ? Les vieux sanitaires remis à neuf », raconte Sébastien Duprat, président de Cycle Up.

« Trouver un juste équilibre ». Autre initiative originale, BNP Paribas Immobilier réutilise d’anciennes boîtes aux lettres remises au goût du jour dans un programme de Romainville. « Le recours au réemploi ne revient pas moins cher que le neuf, mais il n’accroît pas le bilan carbone d’une opération », précise Jérôme Mathieu, DG du bureau d’études S2 T. D’autres acteurs valorisent les déchets et les rebuts pour créer des matières innovantes à faible teneur en carbone. Basée à Tourcoing, la société Wasterial fabrique des vasques, du carrelage et des plans de travail, à partir de pare-brise usagés, de coquilles d’huîtres et de moules consommées à la grande Braderie de Lille et dans les restaurants de la baie de Somme. Et même de billes de verre ! « Ces dernières sont en fait de la poussière de verre récupérée chez un industriel du verre », indique Espérance Fenzy, ingénieur et fondateur de cette PME signataire d’un récent partenariat avec Bouygues Immobilier.

Mais utiliser des produits issus du recyclage, c’est accepter une moindre homogénéité, avec des nuances ou des formes légèrement différentes. Ces caractéristiques, ces patines parfois, donneraient plus d’âme aux immeubles flambant neufs. « Face à la diversité des matériaux à disposition, la meilleure solution consiste à les combiner pour trouver un juste équilibre. Or cet assemblage n’a rien d’automatique. Il varie d’une opération à l’autre, selon sa situation, son environnement et l’histoire du lieu. Il convient de mettre le matériau adapté au bon endroit », résume Caroline Sainderichin, DG déléguée de BNP Paribas Immobilier Promotion. Une chose est sûre : « L’enjeu pour la filière immobilière est aussi important que pour l’automobile, passée du moteur thermique à l’électrique. Pour faire bouger les lignes, rien n’est possible seul. Pour cela, il faut travailler à plusieurs en associant promoteurs, fabricants de matériaux et start-up innovantes », résume Nicolas Joly, nouveau DG d’Icade, lors d’une intervention au Sibca §

Le retour en grâce de la pierre

Haut de gamme. Disponible en grande quantité et en circuits courts, élégante, durable, biosourcée…© 11H45/FLORENT MICHEL

… la pierre de taille a de nombreux atouts.© Photographe : Philippe LEROY – www.photographearchitecture.com

 

Rendue célèbre par les immeubles haussmanniens, dont elle orne les façades depuis plus d’un siècle dans l’Hexagone, la pierre de taille connaît une nouvelle jeunesse. Auparavant marque de fabrique d’une poignée de promoteurs, elle figure aujourd’hui en bonne position dans la panoplie des matériaux biosourcés et bas carbone des poids lourds nationaux de la profession. Tel BNP Paribas Immobilier, qui vient de livrer à Clamart un programme de ce type. Les atouts de la pierre ? « Une matière naturelle qui subit peu de transformations, hormis la taille en blocs sur le site d’extraction. De plus, aucune rareté de cette ressource provenant le plus souvent de carrières locales proches des chantiers », détaille Marc Verrecchia, président du groupe éponyme. Autre bonus, cette matière première est facile à modeler. « Les architectes l’apprécient, car, une fois sculptée, elle convient à tous les types de projets, des plus contemporains aux plus classiques », ajoute Damien Rolloy, président de Franco Suisse Bâtiment, dont la pierre est la signature depuis 1963. Outre son côté élégant, ce minéral à ton clair plaît aux habitants car il nécessite peu de ravalements. Autant d’arguments redorant son image auprès de constructeurs qui jusqu’alors l’utilisaient avec parcimonie. « Son aspect patrimonial convient aux opérations haut de gamme, indique Emmanuel Desmaizières, directeur général d’Icade Promotion. Son coût fait quasi jeu égal avec le bois mais reste quand même supérieur à celui du béton » § L. D.https://www.lepoint.fr/immobilier/immobilier-batir-plus-ecologique-le-nouveau-defi-22-10-2023-2540334_31.php

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